Ma chère Michèle (Finck),
Voilà de « Connaissance par les larmes », ton recueil de poème ces quelques
extraits qui sont ceux des moments plus particuliers où je fus arrêter à les
méditer, les ruminer. J’ai pensé à te présenter ainsi de suite ces moments
fascinants, probablement épiphaniques avec quelques- unes de mes photos de ces
dernières années.
Vraiment merci beaucoup pour ton livre (chez Arfuyen) dont je retiens aussi,
comme tu verras, la série de poèmes très courts, façon haï ku, au point que ces
autres phrases tirées de leur contexte, ainsi devenues brèves en deviennent,
même si parfois plus courtes encore, un peu semblables à ces haï ku déjà si
féconds / riches / merveilleux.
Je t’embrasse fort en te saluant à l’indienne, ma très grande poétesse.
Laurie Granier d'ex-Atlantide Lang d'Ôz.
« Ô Muse des larmes, la plus belle des Muses ! » Marina Tsvétaïeva
(p. 7)
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Même
Si
Dieu
N’existe
Pas
Les
Larmes
Sont
La
Trace
De
Dieu
En
Nous
p. 11
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Mais savoir faire la
planche sur la vie
(Hors. p.12)
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Soif
Poésie peau nue
Vêtue seulement
De vent.
(p.13)
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En rêve nous cherchons
un tableau
Nous nous immolons par
la patience
(A la patience. p. 14)
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Je chéris cette blessure
car elle me relie
A la douleur du monde à
jamais mienne.
Poésie :
Traire les
ténèbres ?
(A la douleur. p.15)
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Je porte en moi notre amour
à jamais
Comme plaie qui ne
pourrit pas
(A la perte. p. 16)
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Paix
Vivre au bord du suicide
Comme au bord d’un lac profond
Qui calme et apaise.
(Paix. p. 17)
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Gong de mémoire contre
le vide de la tête.
Brou de mémoire. Résine
du crâne résonne.
(A la tête (p. 18))
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Aimait se lover dans les larmes
Tissent à tâtons un même linceul, monotone et sourd, pour envelopper la douleur
de tous …
… Qui n’a pas de larmes a-t-il encore visage ? …
… Pars en quête de larmes : seul coup de fouet vers la connaissance ?...
… Larmes faisaient tinter ses cils très doux …
(Court-circuit (Fille
de la faille). p. 20-21)
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… Suspendus au-dessus du précipice qu’est la vie …
… Ne put plus pleurer … Plus marcher … Atterrée d’être née …
(Celle qui chancelle. p. 22)
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A-t-il jamais pleuré, Dieu ?
La main du ciel ce matin est d’une douceur
Limpide mais je ne peux la saisir avec mes doigts
Trop courts.
« Et la poésie, miaule un oiseau
Sorti de ma bouche. Et la poésie
Peut-elle quelque chose ? »
(Cauchemar. p. 24)
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Te souviens-tu quand tu
caressais du soleil
De tes larmes le visage
aimé du mort ?
(Le dit de la cathédrale de Strasbourg (sotto
voce) Premier vitrail
Eclats de deuil p. 30
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Nos âmes se donnent la main
Paroles les silences et
silences les mots.
Aimer affûte l’ouïe
dans la pénombre.
Nos âmes ont des larmes
aux yeux dans la nuit.
(Deuxième vitrail
Unisson. p. 31)
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Qui n’a pas regardé
L’autre pleurer
Ne le connaît pas
Dans le labyrinthe
De tes larmes
Avancer
L’essentiel est invisible
Aux sans-larmes
Mes larmes
Coulent
De tes yeux
(Quatrième vitrail Labyrinthe p.
33-34)
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Je ne connais de divin que ce qui en nous est le plus humain : les larmes, le
lait de tes larmes sur ton visage, sur le mien, qui nous sortent de la tombe.
(Rosace Vers le visage. p. 36)
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Poésie :
Connaissance
Par
Les
Larmes
Y
Brûler
Vive
Anonyme
Universelle
(Chœur (Bouche
fermée) p. 37)
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Apprendre
Les
Larmes
Par
La
Mer
(Chœur (Bouche
mi-close) p. 41)
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Les glossolalies de l’écume balbutier
glissando : « Lar-mes du large.
Lar-mes du large. Lar-mes du large ».
Apprendre les larmes par la mer.
(…) le secret : les larmes du large sont celles de Dieu ?
Même si elles n’existent pas, ou est-ce parce qu’elles n’existent pas ?, il faut
chercher les larmes au large.
(Les larmes du large. p. 42-43)
---
Bouche teintée d’aube
Boire un peu d’écume
Ablution d’azur
(p. 44)
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Nager lentement dans le
placenta
Que tisse et détisse la
mer.
Les vivants des morts
et des non-nés
Dans les brumes de chaleur
aux profils de fœtus.
Nageuse – chamane
(A la nage. p. 45)
---
Dans le lapis-lazuli de
la haute mer
L’alphabet des vagues nous apprend
A lire à écrire
et à déchirer.
Mais pourquoi ce
souvenir d’autres vagues
Avec lesquelles nous nous éclaboussions
(L’alphabet des vagues. p. 47)
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Lauriers blancs au vent : fleurs ou papillon ?
(p. 48)
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Avec des ailerons d’or
et de bonté
Comment s’achève le
conte de la luciole
Et du néant ?
Pourquoi ce goût de sable
entre les dents du rêve ?
La mue de la mort
brille entre les nuages.
Chaque larme pleurée
devant la mer
Est un ange qui veut apprendre
à aimer.
(Conte de la luciole et du néant. p.
49)
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Lumière intense après le mistral
Laurier-rose et laurier rouge.
Qui ressuscite vêtu de vent ?
(p. 50)
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Qui consonnent avec l’écume.
Cela suffit. Qui consonne
consent.
(A la consonance. p. 51)
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Entrouïr l’infini
Dans un peu de brise
Où s’allège le bleu.
(p . 52)
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Si rapide l’hirondelle
Au ras de la vague
Déjà au sommet du cyprès.
(p. 54)
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La mer a la mémoire
des larmes
De tous les morts de la
terre.
(La mémoire de la mer. p. 55)
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Mouettes blanches étincelantes
Bougies posées sur le bleu
Soudain soufflées par le soir.
(p. 56)
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Blessure aussi est un
encens qui brûle au-dessus de
la mer
La paume ouverte du poème
voudrait en faire
don
(Encens. p.57)
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sur nos visages parfumés d’iode talismanique
(Ce peu de songe. p. 59)
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Parfum du bougainvillier
Prolonge la lanterne mauve
Du crépuscule jusqu’à tard dans la nuit.
(p . 60)
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« Oui, la lumière, la lumière et ses métamorphoses sont une raison suffisante de
vivre ».
Les zigzags ailés des étoiles filantes.
(A la lumière méditerranéenne. p. 62)
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Voiliers légers au soleil du soir
Scintillent comme larmes sur la mer
Tout à coup fondent avec la nuit.
(p. 64)
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A la mer, en nageant, on donne tout – c’est pourquoi on reçoit tout en retour.
Le goût d’enfance éternelle des larmes de la mer.
(Eau-de-vie 1. p. 65-66)
---
Sentir que la mer, son appel lancinant, est le seul vrai terreau mélodique et
rythmique.
Prendre le pouls de la mer, c’est prendre le pouls du cosmos et peut-être de la
musique des sphères. Faire un retour au plus intense réservoir de sons sacrés du
monde.
(…) quand le soleil fait la roue de paon sur la plage, parmi le marmonnement des
vagues et que l’archet des hauts mâts fait vibrer la ligne mate de l’horizon.
Son flux et son reflux. Sa psalmodie. Sa scansion. Son silence qui tremble entre
deux arpèges sourds de l’écume.
La mer pour extrême onction.
Seule la leçon de musique de la mer fait monter les larmes aux yeux des mots.
(Eau-de-vie 3. p. 68-69)
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Eucalyptus au crépuscule :
Luth sur lequel joue le soleil.
Puis la lune et les étoiles.
(p. 70)
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Ultime trille de l’été tournoyant
Decrescendo des bleus
Brodés par la bruine des ténèbres.
(p. 71)
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Musique des larmes
(p. 73)
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Musique :
Ce
Que
Pourrait
Être
Dieu
?
(Chœur (Bouche
mi-clos) p. 75)
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Sainte la lumière des sons
Sacrés nacrés de silence
(Vivaldi. Stabat Mater. p. 77)
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Et articule en don le tison du t.
(Bach. Passion selon saint Jean. p.
78)
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Ecoute : Musique va traire les larmes.
(Boccherini. Stabat Mater. p. 79)
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Descente de l’ouïe vers quel noyau
De nuit ? Larmes
lapident le noir de l’œil.
(Duparc. Elégie. p. 81.)
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Ce que l’œil ne peut voir : l’invisible,
Audible à l’oreille troglodyte.
(Brahms. Lied opus 72 n°4. p. 82)
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Opéra: précipité de larmes.
Fait grandir dans l’âme le camélia fragile
De la compassion. Ecoute : il est en fleurs.
(Verdi. La Traviata. p. 84)
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Larmes sont anges décapités.
Pourquoi musique ? Pour couver les amours morts.
(Mahler.
Le Chant de la terre. p. 85)
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Que peut musique ? Faire toujours face.
Héler encore héler obstinément la lumière ?
Dvorak. Stabat Mater. p. 86.
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Larmes archaïques, impersonnelles, universelles
Bavées du fond des temps pour quelle faute
Irréparable ?
(Janacek. De la maison des morts. p.
87)
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Voix fait craquer un à un les os
De la mémoire dans les gravats de la tête
Musique réverbère tout
ce qui est chialé.
(Britten. Chanson d’automne. p. 88)
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« Et dans notre sommeil nous avons pleuré »
Poème de Georg Trakl : « Occident II »
(Webern. Lieder opus 14. p. 89)
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Morte et vivante à la fois celle qui chante.
Un seul son pour dire flamme et cendre
Quand les cloches crâniennes creusent le silence de Dieu.
(Chostakovitch. Six poèmes de Marina
Tsvétaieva. p. 90)
---
Solitude faite voix équarrie écartelée.
Femme funambule sur le fil des larmes
(Webern. Lieder opus 13. p. 91)
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Pour que la torche verticale de ta voix fasse
Monter en nous des larmes de feu et de neige ?
Chaque son excavé du noir vers la lumière
Poésie et musique ensevelissent les crânes dans leurs ventres
(Benjamin Britten. War Requiem. p.
94)
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Ecoute Poulenc au sommet de la montagne
Du cœur. Exposé. Pétrit sculpteur sonore
L’archaïque argile de la douleur. Voix
Statues de songe somnambules se dressent dans l’âme
Et prient.
Soudain surgit des voix le don
Si les larmes n’existaient pas
Musique les aurait inventées
(Poulenc. Stabat Mater. p.95)
---
Musée des larmes
(p. 97)
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Aimer
Un
Peintre
Pour
Sa
Façon
Unique
De
Tracer
Une
Larme
Chœur
(Bouche mi-close) p. 99.
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Même l’athée peut pleurer devant les larmes du Christ.
(Antonello da Messina. Le Christ à la
colonne. p. 100)
---
Main nue de la Vierge, gercée d’énigmes
(Hans Memling. La mère de Dieu avec le
Christ mort. p. 101)
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Larmes vues par l’ouïe : caillots mystiques.
(Van Gogh. Femme qui pleure. p. 104)
---
Larmes tombées de quelle lune ? De quelle étoile
Filante ?
Dessine-moi une larme, dit le Petit Prince
(Juan Miro. Le sourire d’une larme.
p. 112)
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Zigzagant. Alphabet lacrymal zézayant.
(Salvator Dali. La mare aux larmes.
p. 113)
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Main recueille l’eau-de-vie pure de l’œil
Larmes d’enfant rendent voyants.
(Louise Bourgeois. Vase de larmes. p.
114)
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Clown de douleur est ange.
(Paul Klee. Lomolarm. p. 115)
---
Cinémathèque des larmes
(p. 117).
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Aimer
Un
Cinéaste
Pour
Sa
Façon
Unique
De
Filmer
Le
Visage
Et
Les
Larmes
(Chœur (bouche
mi-close) p. 119)
---
Cinéma-poésie : le moment où la gangue des visages
Va craquer.
Larmes font accoucher les visages de vérité.
De génération en génération. Le non-amour.
Non-amour mutile. Rend infirme. Tue.
« Il existe quand même une grâce. Les infinies
Possibilités de nous occuper des autres. »
(Ingmar Bergman. Sonate d’automne. p.
120-122)
---
Gravit Ingrid les pentes de rocs à pic du volcan
Marche vers elle-même.
Rossellini, derviche, danse sur la crête des contraires.
Vol d’oiseaux. Larmes – ailes.
(Roberto Rossellini. Stromboli. p.
123 – 124)
---
Blanc des vagues dans le noir du monde.
(Federico Fellini. La Strada. p. 125)
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Plus de lampe. Même plus de braise.
(Béla Tarr. Le cheval de Turin. p.
126-127)
---
Eau scintillante est miroir profond.
Monde n’est-il que cela, mirage dans le brouillard ?
Potier comprend trop
tard. Pleure sur la tombe de sa femme.
(Kenji Mizoguchi. Les contes de la lune
vague après la pluie. p. 129)
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La Sicile poudroie de rêves dans la torpeur torride
Larmes font craquer l’image.
(Luchino Visconti. Le Guépard. p.134)
---
Larmes : sources miraculeuses. Y boire ?
(Pier Paolo Pasolini. Théorème. p.
135)
---
Porteur à la Caravage d’une corbeille de fruits
(Pier Paolo Pasolini. Mamma Roma. p.
139)
---
Larmes : levain
Qui fait lever le visage
Rossellini filme le visage comme une vulve. Offerte.
(Roberto Rossellini. L’Amore. La voix
humaine. p. 141)
---
Enorme cloche est le film lui-même hissé
Par l’effort de tous hors des entrailles de la terre.
Caméra s’agenouille devant les couleurs
Groza.
Coup de cloche de la couleur
Sous la pluie.
(Andrei Tarkovski. Andreï Roublev .
p. 145)
---
Les larmes dans les fentes brûlantes du temps.
(Andrei Tarkovski. Le miroir. p. 147)
---
Chacun seul dans son sac de peau. Chacun
Seul.
(Ingmar Bergman. Sarabande. p. 149)
---
Moi
Arbre
Foudroyé
Calciné
Bois
Mort
Décapité
Refleurir
En
Poème
(Chœur (bouche ouverte) p. 155)
---
Avoir tant de fois contemplé la voie lactée des larmes, dans le ciel de la mer,
dans le ciel de la musique, dans le ciel de la peinture, dans le ciel du cinéma.
Mais cet or sacré stellaire glisse entre les doigts pour aller au tout-à-l’égout
des rêves.
Ce qui reste : les larmes des mots
Les mots-larmes à étreindre.
(Presquélégie de La Sans-Larme. p.
156)
---
Eprouver la nécessité
Pour simplement être
D’écrire un
poème.
(p. 157)
---
Finis ta tapisserie de larmes dit
la mère finis
Ta tapisserie de mots
dit le père
sinon
Le rossignol saignera
noir dans la
terre rêche.
(Trois presque-mythes. 1.
A la langue coupée de Philomèle. p. 158)
---
Je tissais et détissais
mes poèmes.
(Trois presque-mythes. 3.
Autoportrait en Pénélope. p. 161)
---
Vienne
Pénélope
La nuit
Féconde
Où
Tu
Pleureras
Enfin
De la neige
Mais
N’oublie
Pas :
Tu
N’est
Qu’une
Larme
De la mer.
(p. 162)
---
Les
Larmes
Non
Pleurées
Sont
Celles
Qui
Font
Ecrire
(p. 163)
---
Littérature. Non. Mais
lutte-et-rature.
Pollen des larmes
féconde les mots
jusqu’à la racine
(A la lutte.
p. 164)
---
Poème : terrier des
larmes de tous.
(A la torsion. p. 166)
---
Ça gicle. La vie.
La poésie.
(A une fraternité silencieuse. p.
172)
---
Ton
Destin
Le
Sel
Sans
Les
Larmes
Le
Poème
Anonyme
(Chœur (bouche ouverte) p. 173)
---
Celle qui neige
(p. 175)
---
Ne
Pas
Pleurer :
Neiger
Sécrétion
De
Quel
Inconnu
?
(Chœur (bouche ouverte) p. 177)
---
Poème compagnon de
route
Pas trop vite
attends un peu.
Il faut que tu décantes.
L’eucalyptus ne nous
suit plus
(p. 178)
---
Chaque
Mot
Comme
Une
Larme
Invisible
En
Suspens
Au
Bord
De
L’
Œil
(Chœur (bouche ouverte) p. 180)
---
Pétrir ou
périr
Leçon du potier
et du poète.
(Frises de neige. p. 181)
---
Chaque flocon de mot
(Lac Schulmeister. p. 183)
---
Enfant
Qui
Neige
En
Moi
Tu
Aquarelles
Mes
Mots
Et
Le
Monde
(p. 184)
---
Tête à tête avec moi-même
-
Qu’est-ce qu’un
poème ?
-
Une parabole
ou presque.
-
C’est beaucoup trop
dire !
-
Un papillon.
-
Si seulement !
-
Quoi alors ?
-
Un parfum ?
-
A peu près !
-
L’ombre d’un parfum ?
-
A peine
En passant
Un parfum
De neige
Dans la
selva oscura
Humé …
Enfui
(Tête à tête avec moi-même. p . 187)
---
Insomnie ivre-lucide
qu’est la vie
(Supplique. p. 190)
---
Ecouter le morse
rythmique
de la neige
Passager intermittent
provisoire.
(Le morse de la neige. p. 193)
---
Celle
Qui
Neige
Même
En
Dormant
Veille.
(Chœur (bouche ouverte). p. 194)
---
Maintenant je neige, j’écris
Etrécrire, neiger.
(Celle qui neige ou l’alchimiste des
larmes. p. 195)
---
Les mots
Neigés
Rythmés
Etre
Chalumeau
De
L’
In-
Ouï
(Neigécrire. p. 196-197)
---
Celle
Qui
Neige
Tient
Tête
Au
Néant
(Chœur (bouche ouverte). p. 198)
---